Malgré le Nobel de la paix, une « épée de Damoclès » menace les médias, selon les lauréats

OSLO 09/12/2021 15:56 (BELGA/AG) 

Malgré le Nobel de la paix censé la mettre sur un piédestal, la liberté de la presse reste sous la menace d’une « épée de Damoclès », ont déploré jeudi les deux lauréats du prix. 

 

La Philippine Maria Ressa, cofondatrice du site d’information Rappler, et le Russe Dmitri Mouratov, rédacteur en chef du journal indépendant Novaïa Gazeta, vont recevoir vendredi à Oslo le Nobel qui leur a été attribué début octobre pour leur combat pour la « sauvegarde de la liberté d’expression ». « Jusqu’à maintenant, la liberté de la presse est menacée », a déclaré Mme Ressa, interrogée pour savoir si la prestigieuse récompense avait amélioré la situation dans son pays, 138e dans le classement de la liberté de la presse réalisé par Reporters sans frontières (RSF). La journaliste de 58 ans a notamment évoqué son compatriote et ex-collègue, Jess Malabanan, correspondant du Manila Standard, abattu mercredi d’une balle dans la tête.

Également collaborateur de Reuters, il avait notamment travaillé pour l’agence de presse sur le sujet sensible de la guerre contre la drogue aux Philippines. « C’est comme si on avait une épée de Damoclès suspendue au-dessus de notre tête », a-t-elle dit. « Aujourd’hui aux Philippines, les lois sont en place mais (…) vous relatez les informations les plus difficiles à vos risques et périls ». Aux manettes de Rappler, un site très critique du président philippin Rodrigo Duterte, Maria Ressa est elle-même l’objet de sept poursuites judiciaires au total dans son pays. Bénéficiant d’une liberté conditionnelle en attendant un jugement en appel après avoir été condamnée pour diffamation l’an dernier, elle a été contrainte de demander à quatre tribunaux la permission d’aller chercher son Nobel en personne.

Présent à ses côtés jeudi, M. Mouratov, 60 ans, a approuvé les propos de sa colauréate. « Si nous devons devenir des agents de l’étranger à cause du prix Nobel de la paix, nous ne serons pas contrariés », a-t-il dit, interrogé sur ce risque de se voir attribuer cette étiquette qui sert à réprimer médias et organisations critiques du Kremlin. « Mais en fait, (…) je ne pense pas que nous aurons ce label. Nous faisons, en revanche, face à d’autres risques », a-t-il ajouté en russe, via une interprète. Le statut « agent de l’étranger » oblige les médias à faire connaître ce statut dans toutes ses publications, textes, vidéos et messages sur les réseaux sociaux. Rare journal encore indépendant dans un paysage médiatique russe largement mis au pas, Novaïa Gazeta est notamment connu pour ses enquêtes sur la corruption et les atteintes aux droits humains en Tchétchénie.